Petite histoire des temples de la Vallée Française.


Il est difficile de concevoir aujourd’hui, en regardant les terrassiers (bancels) envahis par les genêts et les fougères, les châtaigniers tordus et atteints par la maladie de l’endothia, l’exode et le vieillissement de la population, dans un habitat très dispersé, pourquoi les Cévenols ont construit des bâtiments aussi vastes et aussi nombreux : magnaneries dans les fermes, filatures dans les vallées, temples presque à chaque bourgade ou hameau important.

Au cœur des Cévennes, dans la Vallée Française où nous sommes, il y a souvent autant, sinon plus, de temples que d’églises. Certaines communes comme celle de Moissac ont même deux temples et point d’église. La seule paroisse locale de l’Eglise Réformée de France, qui regroupe Sainte-Croix-Vallée-Française, Barre-des-Cévennes, Saint-Martin-de-Lansuscle, Moissac, Saint-Roman-de-Tousque, Gabriac, Biasses et le Masbonnet a encore aujourd’hui six temples en activité dont la plupart ne sont ouverts qu’en été, et deux lieux de veillées en hiver, alors que le nombre de foyers actifs dans la paroisse passe de 145 l’hiver à plus du double l’été. Ces temples ne remontent pas à l’implantation de la Réforme en Cévennes : ils sont soit du XIIe siècle, alors que la Réforme n’était pas encore intervenue, soit relativement récents.

Pourquoi ? Dans la Vallée Française tous les bâtiments (maisons, fermes, granges, clèdes, jasses, temples) ont été détruits par le feu à la fin de 1703 lors du rasement ou brûlement de 32 communes des Cévennes ordonné par le gouverneur du Languedoc, Lamoignon de Basville, et le maréchal de Montrevel. Ne pouvant venir à bout de la révolte par les moyens militaires classiques, les autorités avaient décidé en un premier temps de regrouper la population dans quelques bourgades désignées, pour mieux la contrôler, et en un deuxième temps de détruire tous les bâtiments en dehors de ces bourgades. Le but était de couper les Camisards de leurs bases. La population des paroisses des Balmes, de Molezon et de Saint-Martin-de-Lansuscle furent ainsi déportées et regroupées à Barre-des-Cévennes. Cette opération ruina les Cévennes et échoua. L’exaspération des Cévenols étant portée à son comble, les escarmouches et combats redoublèrent de fréquence et d’intensité.

Dès 1704, même avant la fin de la guerre des Cévennes, une bonne partie de la population revint car les bourgades avoisinantes, comme celle de Barre-des-Cévennes en avaient assez d’être mises à contribution pour nourrir les soldats et les voisins immigrés. Quelques charpentes et toitures furent refaites et la vie reprit. La répression menée par le gouverneur du Languedoc, avec les dragonnades, ne permit la reconstruction d’aucun temple. Ce fut l’époque des assemblées au désert, c’est à dire de cultes dans des clairières ou carrières dont les accès étaient facilement contrôlables, notamment à Trabassac, au roc de Galta, en dessous du Gibertin et à la Can de l’Hospitalet pour ne citer que les plus proches.

Quand ? En 1787 l’édit de Tolérance permit de reconnaître officiellement la prépondérance de la population protestante dans la région. A partir de la Révolution et de l’Empire on vit la réapparition de temples. Il s’agit bien de réapparition et non de construction, car dans les dernières années du XVIII e siècle et au début du XIXe siècle on voulut parer au plus pressé en réutilisant et en adaptant des bâtiments existants.

Comment ? La première opportunité consista à acheter les églises vendues comme biens nationaux. La plupart furent d’abord utilisées comme granges ou bergeries. C’est le cas de l’église de Saint-Roman-de-Tousque, sur la commune de Moissac, qui fut achetée à la Révolution pour en faire une grange et une écurie et revendue le 9 juillet 1822 au consistoire de Moissac pour être convertie en temple. C’est aussi le cas de l’église de la Boissonnade, Notre-Dame-de-Valfrancesque, également sur la commune de Moissac, qui a été achetée pour en faire une grange et convertie à partir de 1823 en temple protestant. Cette église du XIIe siècle, qui a remplacé Notre-Dame-de-la-Victoire bâtie au IX e siècle pour commémorer une victoire à cet endroit des Francs sur les Sarrasins, est du plus pur style roman et s’adapte très bien à la rigueur des temples protestants.

La deuxième opportunité est venue sous l’Empire. Le département de la Lozère était bien considéré pour avoir fourni d’excellentes troupes. A la demande des populations locales plusieurs églises délaissées ou peu utilisées furent converties en temples protestants. C’est le cas de l’église de Molézon affectée au culte protestant par décret impérial du 9 brumaire an 13. Ce bâtiment est en cours de réhabilitation car il a souffert de glissements de terrain. De même l’église de Saint-Martin-de-Lansuscle, qui n’avait pas été vendue comme bien national, probablement à cause de son mauvais état, fut « mise à la disposition du Consistoire de l’Eglise Réformée, à la charge, par les protestants, des réparations foncières et d’entretien de la dite église » par un décret signé de Napoléon « au quartier impérial d’Austerlitz, le 16 frimaire an 14 ». Le 20 janvier 1806, M. Cade, sous-préfet de Florac, porta ce décret à la connaissance du maire de Saint-Martin-de-Lansuscle et lui enjoignit de mettre le Consistoire de Saint-Germain-de-Calberte en possession de la dite église, ce qu’il s’empressa de faire car il était tête de liste dans la requête des protestants. Saint-Germain-de-Calberte est le chef lieu de canton dont dépendait à l’époque la communauté protestante locale.

A partir de la Restauration, les tensions religieuses s’étant apaisées, les Cévennes jouissaient d’un véritable âge d’or qui verra son apogée en 1850. La vie économique reposait sur deux fondements : la soie, qui procurait l’essentiel des revenus financiers, avec l’élevage du ver à soie et les filatures, et le châtaignier (l’arbre à pain en Cévennes) base de l’alimentation de l’homme et du bétail dans une région où le blé pousse mal. Les routes réaménagées dès la fin du XVII e siècle pour la surveillance des Cévennes favorisaient désormais les échanges commerciaux et l’essor de l’activité textile. Les nombreux paroissiens souhaitaient avoir des lieux de culte dignes de leur prospérité.

Où ? Des temples furent construits vers 1820-1825 notamment à Barre-les-Cévennes, Sainte-Croix-Vallée-Française et Saint-Germain-de-Calberte c’est à dire là où les églises avaient été maintenues par le Concordat.

L’évêque de Mende essaya de récupérer les églises vendues comme biens nationaux en les rachetant aux propriétaires exploitants. Les négociations échouèrent. Alors il utilisa d’autres moyens. Une décision gouvernementale pouvant annuler ce qu’un décret impérial avait fait, une ordonnance royale du 3 décembre 1823 rétablit la paroisse catholique de Saint-Martin-de-Lansuscle, qui avait été supprimée et rattachée à celle de Sainte-Croix-Vallée-Française par le Concordat, et exigea de rendre l’église à l’exercice du culte catholique sous peine d’indemnités et pénalités. Le maire de Saint-Martin-de-Lansuscle, à l’époque Louis-Léon Lauriol, facilita la construction du temple actuel sur ses terres pour limiter les indemnités dues par la commune. Ce temple fut inauguré en 1828. Charles X dédommagea en partie la paroisse de Saint-Germain-de-Calberte, dont dépendait la communauté protestante de Saint-Martin-de-Lansuscle, par un don pris sur sa cassette personnelle qui aida grandement à la construction du temple de Saint-Germain-de-Calberte.

Le coup d’arrêt à cet âge d’or vint en 1845-1850 des épidémies de pébrine ravageant les élevages de vers à soie. Une succession de mauvaises récoltes rendit les conditions de vie de plus en plus difficiles, alors que l’appel de main-d’œuvre du bassin houiller d’Alès devenait de plus en plus pressant. Dans quelques vallées la population atteignait 35 habitants au kilomètre carré, une des plus fortes densités jamais observées en milieu rural. La migration définitive commença. Pasteur trouva une méthode de sélection des graines saines de vers à soie, mais en 1869. C’était trop tard. Les soyeux avaient pris l’habitude de s’approvisionner en Italie, en Chine et au Japon dont la soie était moins chère. Entre 1870 et 1880, une maladie, l’encre, s’attaqua cette fois au châtaignier. En outre l’ouverture du canal de Suez amena une nouvelle concurrence sur la laine et une fibre très bon marché, le coton, qui marqua le déclin de l’industrie textile locale.

En 1900 le fils de Louis-Léon Lauriol, Aimé Lauriol avocat à Saint-Jean-du-Gard, anticipant l’évolution de la population prit soin, en léguant une maison pour servir de presbytère à Saint-Martin-de-Lansuscle, de spécifier qu’une pièce du rez-de-chaussée avec accès indépendant du logement devait servir « à l’installation d’une salle de réunion religieuse en hiver, et pour l’instruction des catéchumènes. » Le Conseil Presbytéral ayant renoncé récemment à l’utilisation de ce logement, cette maison a été convertie en Mairie en 2000. Cependant, contrairement à la plupart des mairies, deux inscriptions figurent sur la façade : « Mairie » et « Bibliothèque ». La pièce du rez-de-chaussée, dite l’écolette, subsiste et a été aménagée en Bibliothèque. Ce titre pompeux de Bibliothèque est la continuation d’une tradition du Livre et de l’écrit en Cévennes. En effet la lecture quotidienne de la Bible en famille avait développé le niveau culturel. Les premières encyclopédies, les livres d’histoire, de philosophie, de voyages, étaient chose courante chez les particuliers. Les inventaires dressés en 1905, en application de la loi de séparation des églises et de l’Etat faisaient ressortir l’importance des bibliothèques paroissiales (en général plus de 200 volumes). Ce qui reste de cette bibliothèque est le fonds de la nouvelle.

Le temple de Saint-Martin-de-Lansuscle, construit donc au début du XIX e siècle, a été rénové par la municipalité, aménagé en salle polyvalente, et fait l’objet d’une convention entre la commune (propriétaire) et la communauté protestante (principale affectataire) pour son occupation. Le planning des activités, son animation, ont même justifié la création d’un emploi jeune.

Les temples de la Vallée Française constituent une richesse architecturale pour les plus anciens, historique pour beaucoup d’autres, cultuelle car ils sont tous restés en activité et aussi culturelle pour Saint-Martin-de-Lansuscle avec sa polyvalence. Dans un lieu de mémoire, ils sont donc une source de questions pour le présent, et de réponses pour l’avenir.

Communication faite le 14 juin 2001 au Temple de Saint-Martin-de-Lansuscle
par Alain Bruneton à l’occasion d’un rassemblement d’anciens Eclaireurs de France.

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